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28 juin 2013 5 28 /06 /juin /2013 10:05

 

 

 

HISTOIRE LOCALE 

 

                           

                          FIGURES HENDAYAISES DU PASSÉ

 

 

Cette rubrique est destinée à présenter des Hendayais(es) vivants(es) ou disparus(ues) qui auront marqué la vie de leur quartier et de la ville pour avoir été des personnages hauts en couleurs ou exemplaires.

 

Si vous souhaitez faire connaître ou voir renaître des figures marquantes sur lesquelles vous possédez textes et photos, contactez-nous en utilisant l'adresse mail que vous trouverez sous la rubrique "Contact" ci-contre. Vous pourrez alors nous demander à ce que votre anonymat d'intervenant soit garanti, toutefois aucun envoi non clairement identifiable sera publié.

 

Le présent portrait est consacré à Louis Rivière, un ancien riverain du quartier de Caneta qui s'est opposé à l'occupation nazie et a étè de ce fait déporté au camp de Sachsenhausen .

 

 

   Louis Rivière

1921 - 2013

   homme de conviction, résistant, déporté

PORTRAIT DE LOUIS RIVIERE (1921 - 2013)

Les anciens déportés Louis Rivière et Jean Arruabarrena (de g. à d.)

 Photo : Collection famille Rivière

 

 

   UN PASSEUR DE MÉMOIRE                                                                                                                      
Louis Rivière, appelé affectueusement par de nombreux Hendayais "Loulou", s’est éteint le 18 juin 2013 à l’âge de 91 ans à Ris-Orangis (Essonne).

 

Par

Édith Anselme

(Condensé de deux articles parus dans le quotidien SUD OUEST)

 

 

Né à Hendaye le 26 novembre1921, Louis Rivière vécut toute son enfance et adolescence dans le quartier de Caneta. L’avènement du Front Populaire, le déclenchement de la guerre d’Espagne, l’engagement de ses parents ont forgé son identité politique. Il rejoint très jeune le cercle local des Jeunesses communistes créé en 1935. Il se lie d’amitié avec Guy Môquet venu faire un séjour à Hendaye avec son père, député communiste du Front populaire.

 

RÉSISTANT SUR DIVERS FRONTS

 

Militant actif, Louis Rivière perd son emploi aux PTT et est interdit de séjour en Pays basque dès le début de l'Occupation. Il rejoint un groupe de résistants communistes animé par Edmond Doré dans la région bordelaise. Revenu au pays malgré l’interdiction, il prend part à la résistance organisée à partir du domicile de la famille Chrisostome situé au Bas-Quartier.

 

Il est arrêté à Hendaye lors de la rafle du 22 octobre 1942, puis emprisonné au fort du Hâ à Bordeaux. Il y passera trois mois avant d'être transféré au camp de Compiègne, puis déporté en Allemagne. Il fera parti des convois des 23 et 24 janvier 1943 qui achemineront, dans des fourgons à bestiaux, un contingent de 1 600 déportés vers le camp de concentration de Sachsenhausen, à une trentaine de kilomètres au nord de Berlin. Il est libéré par les Soviétiques fin avril 1945, rentre à Hendaye dans un état critique et retrouve ses parents qui le pensaient perdu.

 

Il travailla ensuite à la coopérative des pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz et rencontra Rachel, Béarnaise, également militante communiste et institutrice à Hendaye. De leur mariage en 1949, naîtront Guy et Michel.

 

Durablement handicapé après avoir été violemment frappé à la tête par un milicien pétainiste lors de son internement au fort du Hâ, Loulou reprend tardivement des études. Au début des années soixante, la famille quitte le Pays basque pour la région parisienne où il deviendra successivement documentaliste à la Fédération nationale des déportés internés, résistants et patriotes, puis au Musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne.

 

UN TÉMOIGNAGE POIGNANT

 

Persuadé qu'entre les lignes de la grande Histoire se niche la richesse des récits individuels qui viennent nourrir la mémoire collective, Louis Rivière participera à la transmission de la mémoire de la déportation en publiant plusieurs ouvrages de récits et poèmes. Il écrira " Ailleurs demain " qui, enrichi de nombreux retours des lecteurs, sera réédité sous le titre " Le petit caillou d'Hendaye ". Ce "petit caillou" étant celui qu'il ramassa lors de sa garde-à-vue dans la cour de la gendarmerie d'Hendaye, un talisman qu'il perdra au camp.

 

Au fil des lignes de son ouvrage, qui se lit d'une traite, Louis Rivière retrace cet univers concentrationnaire en des propos teintés d'une grande retenue. Sachsenhausen a été un camp érigé en lieu d'esclavagisme entièrement voué à la production d'armement destiné à mener les guerres d'occupation du IIIe Reich. Une mort insensée guettait à tout moment les déportés du camp qui se risquaient à la moindre désobéissance ou étaient frappés par la maladie. C'est ainsi que périrent dans ces camps de jeunes Hendayais de moins de 20 ans, comme Louis Bergeret, Louis Garayo, Édouard Serrano.

 

Sur ce point, son neveu Christian souhaite que " notre municipalité parvienne un jour à honorer leur mémoire en débaptisant les rues Walt-Disney, ainsi que celle des Sept-Nains, afin de leur attribuer leurs noms. "    

PORTRAIT DE LOUIS RIVIERE (1921 - 2013)

Juliette Môquet avec ses fils Guy et Serge (le cadet) dans la baraque N°10 du camp d'internement de Châteaubriant, peu de jours avant la fusillade de Guy le 22 octobre 1941.  Guy s'était lié d'amitié avec Loulou lors de vacances scolaires qu'il était venu passer à Hendaye et Loulou ne manquait jamais de le retrouver à Paris lorsqu'il était venu à plusieurs reprises passer des vacances d'adolescent à Hendaye

Photo : Collection famille Môquet

 


RÉSISTANT JUSQU'AU DERNIER JOUR

 

Résistant jusqu’au dernier jour, Loulou préparait en collaboration avec Arlette Delvaille, dont les parents furent arrêtés à leur domicile de la rue du Jaïzquibel, puis déportés et assassinés au camp d'Auschwitz, un ultime ouvrage qui devait s’intituler " Chronique de deux Hendayais " lorsque, en ce jour si symbolique du 18 juin, il finit par déposer les armes.


 

Ouvrages de Louis Rivière :   " Ailleurs demain ", Éditions Tirésias - AERI (Paris).

                                                  " Le petit Caillou d'Hendaye ", Éditions Atlantica (Biarritz).

                                                  " Mon vivoir ", Éditions Tirésias.

                                                  " Chants d'amour à deux voix et deux mains" (poèmes) , Éditions Tirésias.

TÉMOIGNAGE  

 

          Rencontre inattendue et enrichissante 

 

                                                                par

                                                Jean Pierre Vinchon*

 

 

 

Première rencontre avec Loulou

 

            Au mois de février 2000, Jacques Tremblay, un ami membre du Groupe de Recherche d’Histoire Locale, me dit avoir fait connaissance avec un résident du Manoir et que cette personne souhaiterait entrer en relation avec notre Association.

 

             Désireux de mieux connaître l’histoire de notre ville, Monsieur Rivière a déjà demandé à Josette Zimmermann, employée à la bibliothèque municipale, de le mettre en contact avec une personne qui pourrait lui apporter les renseignements qu’il recherche.

 

             C’est à la suite de cette information que je rends visite à celui qui, d’emblée, me tutoie et me demande de l’appeler Loulou. Cette liberté de ton me plaît et va faciliter nos premiers entretiens. Il y aura pourtant une chose que je ne lui céderai jamais c’est d’entrer dans sa chambre sans frapper. Je ne suis ni un employé du Manoir ni un infirmier, encore moins un médecin, pour agir avec désinvolture.

 

            Je ne verrai Loulou que 2 ou 3 fois dans cette période, mais j’avais pu apprécier son savoir , la richesse de ses souvenirs et son engagement politique dont je ne me trouvais pas très éloigné.

 

             Je n’ai pas la mémoire des dates comme Loulou mais c’est à partir du mois d’avril 2000 que la santé de Mimi s’est aggravée et que je ne l’ai plus quittée jusqu’à son décès, au mois d’août.

 

            J’ignore même la date et la raison pour laquelle je suis retourné au Manoir. Sûrement le désir insoupçonné de reprendre des conversations interrompues et le désir certain de mieux connaître cet homme qui m’avait ouvert l’appétit de la connaissance d’une époque que je n’avais pas connue.

 

            A l’occasion de mes premières visites, Loulou me raconte, avec beaucoup de retenue, sa jeunesse, son engagement, son arrestation et la déportation dont il reviendra affaibli. Surtout il me dit son désir d’écrire et me montre quelques petits textes. Des observations recueillies au cours de ses sorties au restaurant. Un rien l’émerveille et de ce rien il écrit un conte. Je me souviens d’une petite fée, d’une feuille qui tombe, d’un oiseau sur le bord de la fenêtre…. C’est de la poésie et ça m’enchante.

 

           Puis il devient plus précis sur ses projets d’écriture: un livre qu’il veut appeler Ailleurs demain, titre énigmatique. Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre le sens de cet ouvrage. J’ai eu le plaisir de saisir sur ordinateur une grande partie de ses textes, qu’il me donnait dans le plus parfait désordre. Je l’avoue je n’ai rien compris dans cet enchaînement de « rêves-réalités ».

 

           Un jour où il évoquait sa jeunesse, j’ai eu une parole malheureuse en parlant de ses « témoignages », il a très mal pris ce terme car pour lui il ne s’agissait pas de témoignages mais de souvenirs. Je n’ai donc plus prononcé ce mot qui pourtant était une réalité pour moi.

 

           Il a fallu voir le résultat final pour saisir l’esprit du livre. J’ai toujours repoussé le terme dont il m’affublait mais aujourd’hui ne peux me refuser le plaisir de recopier la dédicace de son ouvrage.

 

            Pour toi,

            cher Jean Pierre,

            mon bâton magique de vieillesse

            cet ailleurs demain

            qui t’aura accaparé

            plus que de raison.

            De nous deux,

            toute notre affection,

            Loulou

            Rachel

                                              7 juillet 2004

 

           Je pensais qu’après avoir accompli cette tâche épuisante il aurait le désir de se reposer mais cet insatiable, avide d’écriture s’est remis aussitôt au travail.

            « Chant d’amour à deux voix et deux mains »

            « Collecte des retours amicaux des destinataires d’Ailleurs demain »

          « Ses nombreuses correspondances et ses courriers aux personnalités politiques les plus éminentes »

           « Son amitié avec une employée du Manoir d’où sortira Yagbou-Payou, notre conte de fée.

            La liste est inépuisable et m’échappe un peu.

 

          Après quelques mois de visites assez irrégulières compte tenu de mes activités, il me propose d’aller déjeuner avec lui. Les premiers repas que nous partageons ont lieu en compagnie de Michel Reynaud, son éditeur et de sa collaboratrice, Caroline.

 

           Loulou m’avait expliqué sa décision de ne prendre aucun repas des dimanches et jours de fête au Manoir. Au début il se contentait des restaurants proches de sa résidence. Puis un peu lassé de voir toujours le même cadre et les mêmes menus il avait pris la décision de se faire conduire dans d’autres restaurants en utilisant le service d’un taxi.

 

           Après avoir participé avec son éditeur à des déjeuners amicaux de mise au point de son premier ouvrage, il me proposa de venir manger avec lui chaque fois où je pourrais être libre.

 

          Cette situation me mit dans une position inconfortable, car je ne pouvais pas rendre les invitations. J’ai pensé un moment m’en ouvrir auprès de ses fils, Guy et Michel, dont j’avais fait connaissance au cours d’un de ces repas d’anniversaire que Loulou aimait organiser. J’y ai renoncé car je pense que Loulou aurait mal pris ma décision c’est donc à lui que j’exposais le dilemme devant lequel je me trouvais. Il a réussi à me persuader que financièrement la dépense était moindre par rapport au prix du taxi et qu’ensuite et dans la mesure où j’étais libre de venir avec lui son repas en serait plus agréable. Je reconnais que manger seul n’est pas toujours plaisant même si j’ai appris que Loulou ne s’ennuie jamais; c’est un observateur né et le moindre détail est sujet à écriture.

 

           Il lie connaissance facilement et sa jovialité naturelle lui ont amené la sympathie du personnel des établissements que nous avons eu l’occasion de fréquenter.

 

          Mais je n’ai pas qu’à me louer de notre relation amicale. Je lui ai souvent fait des reproches sur ses méthodes de travail. Quand il écrit il suit un fil conducteur que lui seul connaît. Il peut donc écrire ses textes dans le désordre. Je lui ai souvent demandé de me donner ses textes dans l’ordre où il seront dans la finalité. C’est impossible, le plus bel exemple en est son dernier ouvrage consacré à sa vie au Manoir - qui portera le titre de « Mon vivoir, chronique entremêlée ». Les textes commencés en 1999 ont été saisis par Annie, Catherine, Andrée, Herveline et de temps à autre par moi-même. Le fichier du Vivoir est une pagaille indescriptible. Lorsqu’il juge des corrections indispensables je passe plus de temps à retrouver les textes au milieu de plusieurs centaines de pages. J’aurais aimé qu’il donne à saisir les textes dont il était sûr de ne pas avoir à y revenir. C’est, malheureusement pour moi, un perfectionniste incorrigible.

 

             Cette petite critique faite, je dois reconnaître que j’ai beaucoup appris avec lui. Sur ses expériences avant, pendant et après la guerre, sa méthode d’écriture.

 

             Dans notre amitié j’ai toutefois un regret, celui de ne pas avoir pu nous rencontrer avec son épouse Rachel aussi souvent que je l’aurais souhaité car d’elle aussi j’aurais pu apprendre beaucoup. Ses expériences d’enseignante et de militante sont des richesses qui doivent être transmises.

 

           J’ai eu l’occasion de lui rendre visite lorsqu’elle était à l’Institution Saint-Pierre. Sa mémoire déjà défaillante faisait qu’elle m’appelait par un prénom sans doute évocateur pour elle. Maurice, Guy, Michel….

 

              Elle me demandait à plusieurs reprises si j’étais marié, si j’avais des enfants. Il suffisait alors que je lui pose une question sur la période où elle était enseignante pour qu’elle devienne intarissable. Ses souvenirs très précis agrémentés d’une foule de détails étaient un enchantement pour moi.

 

               Merci à tous les deux.

 

 

*  Président du Groupe Rissois d'Histoire Locale ( 91130 Ris-Orangis )

 

 

PORTRAIT DE LOUIS RIVIERE (1921 - 2013)

Sculpture érigée à l'entrée de l'ancien camp de Sachsenhausen en hommage aux milliers de déportés exterminés en ce lieu.

Photo : Sirius

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